Le passage croissant d’ex-“eurocrates” au privé constitue un risque de conflits d’intérêts. L’association Alter EU accuse la Commission européenne de laxisme sur les contrôles et de manque de transparence.
Être ou pas sur la liste des lobbyistes épinglés par Alter EU. Chaque hiver, la conversation agite le microcosme bruxellois lors de la publication du rapport de cette association – in extenso, “Alliance pour une réglementation de transparence et d’éthique en matière de lobbying”. À Bruxelles, où l’on compte plus de 20 000 lobbyistes et 2 800 agences spécialisées, le passage du public au privé est loin d’être une rareté, avec une centaine de cas annuels.
Mais c’est la manière dont l’association européenne, qui regroupe plus de 160 syndicats, associations, sociétés académiques et entreprises publiques, dénonce le pantouflage des ex-eurocrates qui choque dans la paisible capitale européenne.
Dans le rapport 2011 d’Alter EU, pas moins de 25 hauts fonctionnaires, dont 3 Français, sont nominativement cités. Bruno Dethomas est l’un d’entre eux. Cet ancien ambassadeur, ex-porte-parole de Jacques Delors à la Commission européenne s’insurge contre la méthode de l’association (cliquez ici pour lire l’entretien avec Bruno Dethomas).
Une procédure précise est prévue dans chaque cas de pantouflage. “C’est l’article 16 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne qui s’applique, explique Anthony Gravili, porte-parole de Maroš Šefčovič, commissaire chargé de l’Administration. Il stipule que l’ancien fonctionnaire qui se propose d’exercer une activité professionnelle dans les deux années suivant la cessation de ses fonctions doit en informer préalablement son institution.”
Problème : sur les 201 demandes déposées et traitées du 1er janvier 2008 au 5 août 2010, il n’y a eu qu’un seul refus de l’administration. C’est peu. “Une autre a fait l’objet d’une autorisation partielle d’activité et 34 ont reçu une autorisation conditionnelle, ajoute le porte-parole. Tout risque de conflit d’intérêts est analysé au cas par cas en veillant à ce que la décision ne soit pas disproportionnée.”
Image écornée
Ce cas par cas entraînerait-il des contrôles trop souples ? “En fait, les fonctionnaires utilisent cette obligation de demande comme un test pour pouvoir ajuster leur poste avec leur futur employeur en fonction de la réponse qui leur sera faite”, indique-t-on à la direction des ressources humaines.
Alter EU profite de son pavé dans la mare annuel pour réclamer un renforcement du contrôle. “Les règles actuelles encadrant le pantouflage ne sont pas adaptées, lance Vicky Cann, la rédactrice du rapport. Or, avec le pantouflage croissant, c’est le risque de conflits d’intérêt qui augmente d’autant.” Et l’image des institutions européennes qui en sort un peu plus écornée.
Que faire alors ? “Une interdiction pure et dure serait disproportionnée, reprend Anthony Gravili. Par exemple, les agents qui sont recrutés pour une période clairement déterminée ne peuvent se voir interdits d’exercer leur droit fondamental à gagner leur vie après la fin du contrat avec la Commission. Sauf pour des raisons bien justifiées et spécifiques.”
Alter EU ne conteste pas le respect du droit au travail. Cependant l’association, dans une lettre au commissaire Šefčovič, a demandé, en signe de transparence, que tous les cas de pantouflage soient publiés en ligne par les institutions de l’Union européenne comme cela se fait au Royaume-Uni. Elle n’a pas encore reçu de réponse.
Jean-Bernard Gallois, à Bruxelles