Au MuCEM, il y a le côté qui prend la lumière
et le côté obscur. Courant août, le musée des Civilisations d’Europe et
de la Méditerranée devrait franchir la barre des trois millions de
visiteurs, dont un million de payants. Une éclatante réussite de
fréquentation depuis son ouverture en juin 2013. Et la preuve que ce
site exceptionnel est bien devenu la locomotive rêvée par les
collectivités, pour tirer vers le haut la rénovation urbaine de la
façade portuaire de Marseille.
La face sombre du MuCEM, elle, est restée longtemps à l’abri des résilles de béton dessinées par l’architecte Rudy Ricciotti. Mais, un an après l’euphorie de l’inauguration, la façade du « joyau de Marseille » se craquèle. Et ce n’est pas le rapport provisoire de la Cour des comptes, révélé le 20 juillet dernier par le Journal du Dimanche,
qui inquiète le plus les équipes. Depuis longtemps la dérive des coûts
de construction est de notoriété publique. En février 2012, Didier
Migaud, président de la même Cour des comptes, avait déjà communiqué sur
la question.
La confusion règne autour du Fort Saint-Jean
Le principal problème du MuCEM aujourd'hui est sans conteste la
situation ubuesque des salles d’exposition du Fort Saint-Jean. Sur les 1
200 mètres carrés prévus dans cette ancienne enceinte militaire
entièrement rénovée, un quart à peine est aujourd’hui accessible au
public. Le président François Hollande, lors de sa visite inaugurale en
juin 2013, est sûrement l’un des rares visiteurs à avoir découvert
l’intérieur de la Chapelle du fort et son imposante vitrine de plus de
onze mètres de hauteur. Touché par un problème d’humidité, le site a été
refermé quelques jours plus tard et la vitrine démontée. Une vingtaine
d’autres salles, pourtant totalement équipées et aménagées, n’ont même
pas ouvert. « Nous avons installé près de huit cents objets dans les vitrines, raconte Zette Cazalas, responsable de la muséographie du fort.
Nous avons réalisé les réglages lumière, mis en place les installations
sonores... Et la direction du musée a décidé de ne pas ouvrir pour
l’inauguration ».
Raison officielle ? Là encore, des « problèmes d’hygrométrie et de conservation ». Dans les couloirs du MuCEM, on évoque des pièces exposées ayant subi de sérieux dommages. « Dont des textiles gorgés de flotte qu’il a fallu rendre aux musées prêteurs » raconte-t-on avec un sourire gêné… « Aucun dégât n’a été constaté sur les objets » dément, de son côté, la direction du musée, louant « l’efficacité préventive des conservateurs ».
La galerie des Officiers, l’ancien village militaire et la Chapelle du Fort Saint-Jean devaient accueillir une partie des collections de l’ex-musée des Arts et Traditions Populaires (ATP), déplacées à grand renfort d’argent public depuis Paris. « Et l’aménagement a coûté près de 4 millions d’euros. Cela fait beaucoup pour des salles fermées » complète Zette Cazalas. Treize mois après l’inauguration du musée, rien, pourtant, n’a changé. La signalétique des expositions est en place et l’imposant dossier de presse 2014 du MuCEM annonce, sans ciller, que les salles sont ouvertes. Mais les portes, elles, restent bien closes au nez des visiteurs… qui ne sont pas prévenus de cette impossibilité de visite au moment de l’achat de leurs tickets. « C’est une omerta que nous vivons depuis un an », lâche, désabusée la scénographe.
A la direction du MuCEM, on évoque la « lenteur de l’administration », pour expliquer les délais de réaction. Et on assure « qu’une étude sera livrée en septembre ». Pour une réouverture prochaine ? « Ne nous appelez pas le 30 septembre pour nous demander où ça en est, prévient déjà Véronique Roblin, l’administratrice adjointe. Nous sommes sur un site classé monument historique, on ne peut pas faire n’importe quoi ». L'un des intervenants du dossier : « Je m’interroge sur la volonté du MuCEM d’exploiter le fort Saint-Jean comme un lieu muséal, à côté du bâtiment principal. C’était une partie importante du projet initial, mais cela a forcément un coût en terme d’accueil et de gardiennage qui n’en fait, peut-être, plus une priorité ».
En écho, Véronique Roblin semble agacée que l’on pointe ce dysfonctionnement, qui se chiffre à plusieurs millions d’euros selon Zette Cazalas : « La fermeture de ces salles n’a aucun impact sur le public, martèle l’administratrice adjointe. Rendez-vous compte de notre succès ! Nous avons une fréquentation inespérée. Et quand les gens visitent le fort Saint-Jean, ils sont heureux. Ils ont tellement d’autres choses à voir ! ». Et de citer la vue, le port, la mer… Autant d’éléments qui n’ont pas grand-chose à devoir au projet d’un musée d’Etat, mûri pendant plus de dix ans.

Une enquête interne qui fait du bruit
Au MuCEM, en ce début d’été, l’autre sujet tabou est celui de la grogne des salariés. Fin juin, sentant la pression monter, les représentants du personnel ont lancé une enquête interne et confidentielle pour connaître le « ressenti » des cent vingt-cinq employés. Un an après l’ouverture, le résultat a été net : 42% des interrogés affirment être « stressés au travail », 51% pointent « des problèmes d’organisation ou de communication interne », 71% pensent que le musée « ne met pas les moyens pour remédier à ses problèmes ». Contrairement aux visiteurs, la vue magique sur le port de Marseille dont profitent les salariés du MuCEM depuis leurs bureaux, ne semble pas suffire à leur bonheur… 48% des sondés assurent même « chercher un travail ailleurs ». Dans un contexte d’emploi restreint, le chiffre n’est pas anodin.
Pire, 58% des 72 salariés qui ont répondu à l’enquête, estiment que la ligne directrice du musée n’est « pas claire ». Gênant pour les équipes qui doivent l’appliquer, l’expliquer et la diffuser auprès du public. Latente depuis l’ouverture, la grogne a explosé début juin. Et c’est une fête pour l’anniversaire du musée qui a mis le feu aux poudres. Le syndicat Sud, majoritaire dans la maison, a expédié une lettre ouverte très acide au service du protocole. Il lui reprochait d’avoir organisé une soirée « au champagne et autour d’un concert », réservée aux « partenaires et aux cadres du MuCEM », en omettant d’y convier « les agents qui ont œuvré à la réussite de cette première année ». Dans un courrier interne de soutien, le FSU assurait : « Cette lettre reflète le sentiment de malaise général. Et ce n’est pas un pique-nique ou un repas de Noël qui résoudront les problèmes quotidiens d’organisation du travail et le manque de reconnaissance éprouvé par la plupart des agents ».
Mardi 15 juillet, en retour, des salariés ont boycotté le pot d’adieu
du président Suzzarelli. Son remplaçant est espéré d’ici fin août. « M. Suzzarelli n’avait pas forcément conscience du malaise de ses troupes, note, pleine de tact, Marina Zveguinzoff, représentante FSU. « Il
y a eu un souci concernant la non-reconnaissance des efforts du
personnel… Après un an, le MuCEM n’a pas encore atteint sa vitesse de
croisière. L’organisation n’est pas ficelée ».
Alors que les auditions des derniers candidats à la présidence
commenceront fin juillet dans le bureau de la ministre de la Culture,
les syndicats du MuCEM semblent partis pour calmer le jeu jusqu’à
l’automne. « Le musée doit régler ses problèmes en interne, tempère aujourd’hui Cécile Richet, l'une des délégués du syndicat Sud. Et les résultats de notre étude serviront de levier lors des négociations avec la nouvelle direction ».