Le Festival de l’Histoire de l’Art, qu’organisait pour la première fois le Ministère de la Culture avec l’aide de nombreux partenaires, dont l’INHA et le château de Fontainebleau (ill. 1) où s’est déroulée cette manifestation du 27 au 29 mai, suscitait beaucoup d’attentes mais aussi beaucoup d’inquiétudes. On pouvait craindre un échec qui aurait été gravement préjudiciable à la discipline. Une certaine précipitation dans l’organisation, un manque de communication, l’éloignement relatif de Paris, tout cela parmi d’autres éléments rendait beaucoup de gens sceptiques, dont le signataire de ces lignes.
Nous avions tort. Le lieu d’abord : Fontainebleau s’est en réalité avéré le choix parfait. Suffisamment accessible pour permettre à tout le monde de s’y rendre facilement, l’endroit était parfaitement adapté. Les visiteurs et les participants, entre deux communications ou deux débats, pouvaient se promener dans le parc ou dans le château où de multiples événements étaient organisés sur lesquels nous reviendrons un peu plus loin. Le domaine, malgré sa taille, est à échelle humaine et la circulation en son sein était fluide, permettant de se rendre aisément d’une conférence à l’autre. Les simples touristes étaient suffisamment nombreux pour animer le château, mais pas trop pour en gâcher la convivialité (ce qui aurait sans aucun doute été le cas à Versailles). L’ambiance était d’ailleurs particulièrement chaleureuse et sympathique et l’organisation, malgré quelques cafouillages inévitables surtout lorsqu’il s’agit d’essuyer les plâtres, s’est révélée plutôt efficace. Nous ferons dans cet article quelques critiques que nous voulons positives et qui pourraient aider à améliorer l’édition 2012.
2. Conférence d’Eric de Chassey dans la Salle des Colonnes
au Festival de l’Histoire de l’Art de Fontainebleau (mai 2011)
Photo : Didier Rykner
Le programme était d’une très grande richesse. Le thème de cette année, la Folie, et le pays invité, l’Italie, étaient largement évoqués dans les interventions mais sans que cela soit hégémonique. Une grande part des communications était également réservée à l’actualité de l’histoire de l’art et à certains débats qui agitent le milieu. Le ministère communique sur un chiffre de 15 000 personnes ayant assisté au Festival. Au-delà de cette comptabilité finalement difficile à effectuer de manière fiable1, il faudra retenir que la fréquentation fut également un succès, la plupart des débats et des communications trouvant leur public.
Il était d’ailleurs difficile de prévoir celui-ci à l’avance. Le vendredi 27 mai, l’essentiel de l’assistance était formé de professionnels ce qui pouvait se comprendre puisqu’il s’agissait d’un jour de semaine. Dès les premières conférences, les spectateurs étaient nombreux. A 15 h, Eric de Chassey réunissait jusqu’à 200 personnes dans la Salle des Colonnes (ill. 2) avec une communication intitulée « Apologie pour l’histoire de l’art ».
Le choix s’avérait difficile et la concurrence était rude : les samedi et dimanche, à 10 h, ce n’étaient pas moins de douze sujets différents qui étaient traités simultanément dans toutes les salles. Il est clair que ceux qui intervenaient tôt le dimanche matin ou à l’heure du déjeuner, qui plus est à un endroit excentré par rapport au château (à l’Ecole des Mines ou, pire, dans la salle des élections), étaient fortement défavorisés. Il y eut même un cas, sans doute unique, où faute de réunir un seul amateur, l’intervenant dut repartir... Au contraire, samedi en fin d’après-midi l’affluence fut si importante que des spectateurs furent empêchés d’entrer dans plusieurs conférences auxquelles ils avaient prévu d’assister ce qui occasionna un certain mécontentement.
Tout cela est évidemment très difficile à gérer et à prévoir. Sans doute faudra-t-il, en 2012, réduire un peu le nombre d’événements simultanés et mieux répartir les interventions. Nous donnons quelques idées en conclusion de cet article.
Evénement consacré à l’histoire de l’art, le Festival se doit de refuser les chapelles et d’être ouvert à tous. Si le marché de l’art, les historiens de l’art indépendants et les collectionneurs se sont vu accorder une place significative, il est regrettable que les musées, et particulièrement les musées de région, aient été si peu représentés, tant chez les intervenants que dans le public. Manifestement, la plupart d’entre eux ont été insuffisamment avertis ou sollicités et il faudra que ce manque soit corrigé l’année prochaine.
Parmi les invités étrangers, les Italiens étaient évidemment omniprésents puisque leur pays avait été choisi pour cette première édition. Il serait souhaitable qu’en 2012, alors que ce sera le tour de l’Allemagne, des Italiens mais aussi d’autres nationalités soient largement invités. Il faut faire de ce festival un rendez-vous international.
3. Le Salon du Livre au Festival
de l’Histoire de l’Art de Fontainebleau (mai 2011)
Photo : Didier Rykner
4. Pierre Subleyras (1699-1749)
La Mort d’Hippolyte
Huile sur toile - 93 x 119 cm
Fontainebleau, Musée national du Château
Photo : Didier Rykner
Un Salon du Livre d’Art (ill. 3) était également organisé pendant ces trois jours, plusieurs maisons d’éditions et quelques librairies ayant pu aller ainsi à la rencontre d’un public attentif car particulièrement concerné. Le château de Fontainebleau était largement ouvert - et gratuit - à cette occasion, et les visiteurs pouvaient même découvrir la galerie de peintures, d’habitude fermée au public et qui devrait incontestablement demeurer plus souvent accessible. On y voit, outre les peintres de la Seconde Ecole de Fontainebleau (Toussaint Dubreuil et Ambroise Dubois), des œuvres très importantes par Rubens, Ludovico Carracci, L’Albane, Subleyras (ill. 4), Jouvenet, Restout, Joseph Vernet notamment.
Les conservateurs du musée faisaient visiter le grand public, des concerts étaient donnés, des films ayant un rapport avec l’art étaient projetés dans un cinéma de la ville, plusieurs églises de Seine-et-Marne étaient ouvertes exceptionnellement à la visite... Il était souvent frustrant de ne pouvoir se dédoubler.
A l’occasion du festival, un carton de Noël Coypel (ill. 5), retrouvé presque par hasard dans le théâtre du château, perdu parmi d’anciens décors, était révélé au public après restauration, dans une exposition qui se prolongera jusqu’au 29 août. Préparatoire à une tapisserie de la tenture des Triomphes des Dieux, il est montré en face d’un tissage prêté par le Mobilier National. Ce carton, ayant été maintes fois utilisé par les artisans lissiers, n’est pas dans un excellent état en raison de son usage. Il a été décidé de ne pas réintégrer les zones les plus abîmées ce qui semble un parti-pris raisonnable. Un petit livre a été édité qui en raconte l’histoire.
5. Noël Coypel (1628-1707)
Le Triomphe de Vénus, 1693
Carton de tapisserie - 430 x 668 cm
Fontainebleau, Musée national du Château
Photo : RMN/Michel Urtado
On comprend mal d’avoir vu aussi peu d’étudiants en histoire de l’art. Certains l’expliquent par les examens qui approchent, le festival se déroulant en pleine période de révisions. Outre que celles-ci doivent se faire toute l’année et qu’assister à cet événement et à des conférences permettait aussi de réviser, on ne saurait trop recommander aux futurs historiens de l’art de faire acte de présence l’année prochaine, ne serait-ce que pour une raison très terre à terre : ils rencontreront pendant trois jours, dans un contexte studieux mais festif et amical, ceux qui demain décideront, peu ou prou, de leur carrière.
Les absents ont toujours tort et ceux, étudiants ou historiens de l’art confirmés, qui n’ont pas assisté à cette première édition sont dans ce cas. On ne peut se lamenter en permanence sur l’indifférence que notre discipline rencontre souvent dans le public ou chez les décideurs et ne pas soutenir une telle initiative en n’y participant pas. Nul doute que l’année prochaine, tous s’y presseront encore plus nombreux. Il faudra alors tirer les leçons de l’édition 2011 pour en faire une plus grande réussite encore.
Incontestablement, le festival d’histoire de l’art, décidé par Frédéric Mitterrand sur une idée d’Annick Lemoine, restera comme l’une des meilleures réalisations de ce ministère. Celui-ci a prononcé samedi soir un discours très apprécié. Il a également décoré trois personnalités italiennes : Rosanna Rummo, Anna Ottani Cavina et Salvatore Settis. Ces deux derniers, particulièrement choqués comme tous les Italiens que nous avons rencontrés par la chute invraisemblable du budget de la Culture imposée par le gouvernement de Berlusconi - 80% en moins en 2011 par rapport à 2010 - ont affirmé qu’un tel discours était impensable aujourd’hui de la part d’un ministre de la Culture italien, ce qui leur a valu des applaudissements de leurs compatriotes, au grand scandale de l’ambassadeur d’Italie en France.
Quelques suggestions pour l’organisation de l’édition 2012 :
Les dates de la prochaine édition (outre l’Allemagne, pays invité, le thème choisi est « Le Voyage ») devraient être décidées et communiquées très rapidement afin que chacun puisse s’organiser en conséquence (notamment pour éviter les colloques au même moment).
Il faudrait une bien meilleure communication que cette année. Beaucoup de personnes potentiellement concernées n’étaient pas au courant de l’organisation du festival.
Les conservateurs et les musées devraient être étroitement associés à l’organisation et à l’animation de cette journée.
Il faudrait prévoir une captation de l’essentiel des communications2. La publication d’actes pourrait également être envisagée afin d’éviter de perdre tout ce qui s’y est dit de passionnant.
Il serait judicieux de réduire un peu le nombre de communications, et ne pas en prévoir entre 12 h 30 et 14 h. Il est tout à fait possible de conserver un horaire de 10 h le dimanche car beaucoup de gens étaient déjà là, mais sans doute pas en organisant 12 conférences différentes au même moment qui ne peuvent pas toutes trouver leur public.
Les églises de Seine-et-Marne devraient être ouvertes encore quelques jours avant, ou après le festival car il est impossible de prévoir ce circuit et d’assister en même temps aux conférences.
Les navettes reliant la gare au château devraient être gratuites. Non pour des raisons de coût (1,80 euros, ce n’est rien), mais parce que le temps perdu à vendre les tickets retarde leur départ de parfois près de dix minutes et fait manquer le début des conférences, notamment aux intervenants.
Les salles trop petites (notamment le Fumoir Napoléon III, qui ne peut contenir au maximum que 19 personnes) devraient être évitées.
Les salles situées dans la ville devraient bénéficier d’une meilleure signalétique.
Les dédicaces devraient être organisées près du Salon du Livre, et non dans la Salle de la Grande Cheminée où les auteurs se sont retrouvés un peu seuls (et surtout sans lecteurs).
Xavier Salmon, Le Triomphe de Vénus par Noël Coypel. Un carton de tapisserie redécouvert, 2011, Editions Faton, 64 p., 12,50 €. ISBN : 9782878441499.